UN NUMÉRO DE TÉLÉPHONE EMBARRASSANT
LA SÉCURITÉ MILITAIRE MÈNE L’ENQUÊTE
En 1999, la commercialisation des téléphones portables était à ses débuts, et déménager signifiait changer de ligne filaire : le numéro de la ligne filaire dépendait de la zone géographique où résidait l’abonné.
Un déménagement dans un autre département obligeait alors l’abonné à résilier son abonnement à son ancienne adresse et à demander un autre numéro rattaché à sa nouvelle adresse. (Dans ce cas, un client ne pouvait pas conserver son numéro de téléphone, alors que c’est possible actuellement, en principe.) L’opérateur de télécommunications (à l’époque : France Télécom) gardait en réserve pendant au moins trois mois le numéro de cet abonné, puis l’attribuait à un autre client. Cette procédure informelle, non réglementée, laissait à l’ancien abonné le temps de prévenir toutes ses connaissances du changement de numéro, et évitait au nouvel abonné de récupérer pendant plusieurs mois les appels résiduels de l’ancien client.
Quoique cette procédure réponde au seul souci de ne pas gêner les clients, y déroger suppose l’existence d’un motif déterminé.
Peu après mon déménagement à Maisons-Alfort, fin juillet 1999, j’ai été étonné de recevoir, sur mon lieu de travail, des appels téléphoniques de personnes qui ne parvenaient plus à me joindre à mon domicile. On me signalait une curiosité : lorsqu’on appelait mon ancien numéro, un interlocuteur inconnu décrochait aussitôt. Intrigué, j’ai appelé le numéro de téléphone de mon ancien domicile. Effectivement, quelqu’un a pris l’appel et la brève conversation m’a permis d’apprendre que :
- l’utilisateur de mon ancien numéro de téléphone était un militaire qui venait d’être muté à la direction du personnel du ministère de la Défense, à une date bien précise (à savoir : le lendemain de la résiliation de mon contrat d’abonnement) et il ignorait le numéro de téléphone du collègue qu’il remplaçait ;
- la direction du personnel était considérée comme un service sensible, et le personnel avait l’obligation professionnelle de signaler aux services de sécurité les appels téléphoniques suspects (c’est-à-dire, concrètement, les appels qui provenaient de personnes inconnues) ; les appels téléphoniques émis par mon entourage étaient donc nécessairement « suspects », étant donné qu’aucune de mes connaissances ne travaillait au ministère de la Défense ;
- le militaire avait reçu et signalé, spontanément, plusieurs appels « suspects » aux services de sécurité du ministère ; or, c’est la sécurité militaire qui était chargée de vérifier les origines des appels prétendument « suspects ».
C’est un décret, paru au Journal Officiel, qui autorise les opérateurs de télécommunications à exercer leur activité sur le territoire français. Ce décret, qui est signé par le ministre de la Défense et le ministre de l’Intérieur, prévoit que les opérateurs de télécommunications doivent coopérer en toutes circonstances avec ces deux ministères.
Pour quelle raison mon numéro de téléphone a-t-il été attribué à la direction du personnel du ministère de la Défense (et non pas à un citoyen ordinaire), dès le lendemain de la résiliation de mon abonnement (et non pas trois mois après) ? En mai 2016, la réponse est simple : j’avais acheté en toute bonne foi un appartement dans un immeuble réservé (entre autres) pour des employés de la sécurité militaire. Ma présence intriguait, et la sécurité militaire cherchait à capter les appels résiduels.