Il arrive de temps à autre que des passagers oublient leur affaires dans les bus du réseau de la Régie autonome des transports parisiens (R.A.T.P.) : dans ce cas, les chauffeurs déposent les objets au dépôt bus, et les passagers diligents peuvent récupérer leur bien avant que la R.A.T.P. ne l’envoie à la préfecture de police (rue des Morillons).
Samedi 2 juin 2018, en fin de journée, j’oublie mon sac dans un bus de la R.A.T.P.. Mais il est trop tard pour aller au dépôt bus récupérer le sac.
Le lendemain, en début d’après-midi, je vais me renseigner au dépôt bus de Créteil-Pompadour. Évidemment, les locaux sont réservés au personnel : il faut s’annoncer à une guérite. Le guichetier me reconnaît (moi, je ne le connais pas) en me voyant arriver et ricane. Un événement désagréable a donc été programmé, et le guichetier sait de quoi il s’agit, dirait-on. Le guichetier me demande d’aller dans le bâtiment adjacent, exposer ma demande à la personne qui supervise la permanence du dimanche.
Le responsable est coopératif et va chercher le sac, qui n’a pas encore été envoyé rue des Morillons. Il m’invite à vérifier le contenu du sac. Je préfère suivre son conseil. La serrure est un peu abîmée, mais on peut encore ouvrir le sac.
C’est bien mon sac, tout y est, ou presque. Il manque un objet, un seul objet : un support informatique qui contient des fichiers couverts par le secret professionnel (procédures judiciaires en cours, correspondances d’avocat, etc.). Il n’est pas possible de passer l’éponge : il faut signaler ce problème. Après avoir téléphoné à un collègue, qui lui expose la procédure à suivre dans un tel cas, le chef d’équipe m’annonce qu’il préfère garder le sac qui « sera déposé dans un coffre » et me demande de revenir le lendemain « avant 16 heures », puis m’indique la voie à suivre pour repartir en direction de Paris (mais il reste dans les bureaux).
À l’extérieur, son collègue le ressortissant camerounais refuse de lever la barrière et me demande d’attendre dans le parking réservé au personnel. Je ne parviens à quitter les lieux que grâce à l’arrivée d’un agent de la R.A.T.P. : le guichetier camerounais est alors obligé de lever la barrière pour laisser passer son collègue.
Lundi 4 juin 2018, en fin de matinée, je retourne au dépôt bus de la R.A.T.P. : il paraît préférable de suivre les indications reçues dimanche. On est en semaine, il y a plus de monde que la veille. D’autres personnes sont de permanence dans la guérite ; un registre des visites est posé sur le rebord de l’hygiaphone.
Dans le bâtiment administratif, la personne chargée des formalités me reçoit en présence de ses collègues. J’avais imaginé que l’inventaire du sac, s’il s’avère nécessaire, se ferait en ma présence. Mais l’inventaire a déjà été fait, et la serrure du sac est encore plus abîmée que la veille. Le support informatique est toujours absent, et il manque deux autres objets, sans grande valeur, qui étaient encore dans le sac le jour précédent. La personne qui me rend mon sac me fait observer narquoisement que « le sac est d’un modèle autrefois utilisé par le personnel de la R.A.T.P. ». Autrement dit, puisque le sac aurait été volé à un agent de la R.A.T.P., il est légitime de dérober une partie de son contenu (le support informatique manquant). Toutefois, ce sac a été acheté chez un commerçant dont je ne connais pas les fournisseurs.
Un formulaire a été préparé en attendant mon arrivée, et il faut le signer pour récupérer le sac qui m’appartient. Il s’agit toutefois d’un « document interne » dont je ne peux recevoir une copie ! Curieusement, le document interne non photo-copiable est présenté comme le font les juges d’instruction pour leurs rapports d’audition : la dernière page, celle qu’il faut signer, ne comporte que la mention « Ayant lu, j’approuve et je signe », et cette page peut ensuite être agrafée librement à d’autres pages (par exemple, celles du procès-verbal de l’audition de partie civile).
La première page du rapport résume très sommairement le contenu du sac, en évitant soigneusement de mentionner le support informatique disparu (qui contient des fichiers confidentiels), mais en insistant curieusement sur deux objets bien précis : un « support informatique », en réalité un compact disc publicitaire que j’avais oublié dans le sac (depuis plusieurs années, les entreprises n’utilisent plus ces objets pour faire leur publicité), et qui n’a aucun rapport avec l’objet qui a disparu ; et un canif, devenu pour la cause un « couteau », c’est-à-dire une arme de 6ème catégorie (selon le décret-loi du 18 avril 1939).
L’une des personnes présentes m’ayant suggéré ironiquement de « porter plainte dans un commissariat », la formulation du « document interne » permet de comprendre ce qui s’est passé : les personnes chargées de me remettre le sac ont débattu de l’affaire, compris qu’un de leurs collèges avait fait une boulette dans la soirée du samedi 2 juin 2018, et décidé de préparer un « document interne » qui pourra en cas de plainte être transmis au commissariat afin de minimiser la responsabilité de la R.A.T.P.
Dans cette éventualité, il est évident que le commissariat s’intéressera à la provenance de l’arme de 6ème catégorie, plus qu’à la disparition de fichiers informatiques protégés par le secret de l’instruction, et que la plainte éventuelle sera classée.
Je signale la disparition du support informatique par une mention manuscrite sur le « document interne ». (Deux objets sans valeur qui y étaient encore la veille ont disparu aussi : une paire de gants et un badge périmé.) Je quitte les lieux avec mon sac, mais sans copie du « document interne ». Je retourne à la guérite, et j’attends (le personnel qui arrive ou part est prioritaire) pour demander s’il faut signer le registre des visites. Mais ce n’est pas nécessaire, me dit-on.
Les jours suivants, un courrier à la R.A.T.P. s’avère indispensable afin de signaler cet incident : il est manifeste que certaines personnes, au dépôt bus, savent ce qui s’est passé.
Le support informatique, qui contenait non seulement des fichiers confidentiels, mais aussi des photos de véhicules suspects, volés ou non, garés habituellement dans le parking souterrain de l’avenue Léon Blum, n’a pas été perdu pour tout le monde : dès le 5 juin 2018, les véhicules suspects ont disparu les uns après les autres du parking souterrain de la copropriété.
Par lettre du 22 juin 2018, postée le 25 juin 2018 et reçue le 27 juin 2018, le Service clientèle de la R.A.T.P. confirme « qu’aucun support informatique n’a été récupéré en date du 03/06/2018 », ce que j’avais pu constater moi-même le 3 juin 2018, puis le 4 juin 2018. Cependant, lorsque le sac a été oublié le 2 juin 2018 dans le bus, le support informatique était rangé dans ce sac, et il contenait des courriers couverts par le secret professionnel.
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