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1er Avril

UN BUREAU D’ÉTUDES D’UN PARTI POLITIQUE

Par 1 avril 2024juin 19th, 2024No Comments

Il y a longtemps, un célèbre salarié de l’O.R.T.F. s’était posé la question : « Un bureau d’études d’un parti politique, comment ça marche ? »

Les enquêtes sur les bureaux d’études des partis politiques n’aboutissent jamais. Il n’y a ni jugement, ni condamnation.

          POURQUOI ?

Examinons le cas d’un parti politique parmi d’autres, le parti œcuménique unifié francophone (P.O.U.F.). Ce parti était célèbre autrefois, parce qu’il participait à la vie politique depuis longtemps, déjà avant la guerre, et que son secrétaire général était très ami avec de nombreux chefs d’États étrangers. Les militants du parti avaient été surnommés les poufistes et les poufettes.

Pour financer ses campagnes électorales, le P.O.U.F. avait créé d’abord deux bureaux d’études : le comité algorithmique de cartographie automatisée (C.A.C.A.), chargé de dessiner les affiches, en utilisant les procédés informatiques les plus récents, et de les faire coller ensuite par les militants ; et le bureau des opérations utopiques déclarées d’intérêt national (B.O.U.D.I.N.), chargé d’investir dans l’immobilier et de loger les nombreux permanents et militants du parti.

Le célèbre informaticien Lippfi ADNAL, qui était à la fois directeur du C.A.C.A. et président du B.O.U.D.I.N., rêvait d’unifier les deux sociétés. Dans ce but, il relança à plusieurs reprises les grands chefs et, grâce à sa ténacité, il obtint gain de cause : un beau matin, les dirigeants du P.O.U.F. décidèrent bel et bien de fusionner les deux sociétés. Alors, Lippfi ADNAL devint président directeur général du C.A.C.A. – B.O.U.D.I.N. et son salaire fut doublé. Dans le monde clos des bureaux d’études, il était devenu une célébrité : on le considérait comme le pape du financement des campagnes électorales. Il était désormais un grand prédateur de la steppe informatique du XXIème siècle ; c’est à juste titre que ses admirateurs l’appelaient avec déférence « le Danube de la cybernétique ».

UN JEUNE JUGE DYNAMIQUE MÈNE L’ENQUÊTE

Suite à des dénonciations, une enquête fut confiée à un jeune juge dynamique. Croyant bien faire, le jeune juge dynamique ordonna des écoutes téléphoniques, des filatures et des perquisitions. Les enquêteurs découvrirent des fausses factures, des rapports confidentiels et bien d’autres documents compromettants. Ces indices incitèrent le jeune juge dynamique à ordonner d’autres écoutes téléphoniques, d’autres filatures, d’autres perquisitions. Il découvrit de plus en plus de fausses factures, de rapports confidentiels et de documents compromettants.

Comme les militants du P.O.U.F. étaient très serviables, ils avaient forcément beaucoup d’amis, un peu partout. Ils rendaient service à tout le monde et surtout à trois ministères très influents : le ministère des armées, le ministère de la police et le ministère des juges.

Le jeune juge dynamique fut bientôt entravé dans ses enquêtes par le secret-défense, le secret-police et le secret-justice. Il vitupérait et ordonnait toujours plus  d’écoutes téléphoniques, de filatures et de perquisitions. La présidente de l’Amicale des concubines de juges anti-corruption (A.C.J.A.C.) se plaignait quotidiennement, parce que les adhérentes de son association étaient très inquiètes. Il en était de même de la délégation interrégionale de l’administration pénitentiaire dont les protégés, répartis dans quatre secteurs économiques, étaient concernés eux aussi.

Le jeune juge était vraiment trop dynamique, il fouinait partout, embêtait tout le monde, cela devenait inconvenant. Les hauts responsables du ministère des juges estimèrent qu’il fallait trouver un moyen de ralentir ces enquêtes gênantes. Heureusement, ils étaient bien placés pour savoir que les dossiers d’enquêtes n’appartiennent pas aux juges, mais leur sont attribués temporairement pendant le temps de leur affectation dans un tribunal déterminé. Lorsqu’un juge part pour une autre juridiction, tous ses dossiers restent au tribunal et sont confiés à son successeur. Et ils savaient aussi que le ministère publie les « transparences » deux fois par an, après avis des divers syndicats de juges.

Les hauts responsables du ministère des juges estimèrent que le moment était venu de proposer au jeune juge dynamique une promotion dans une cour d’appel. Le jeune juge fut confronté à une situation imprévue : il fallait choisir entre l’intérêt public et une promotion inespérée et avantageuse. Après réflexion, il décida de choisir la cour d’appel : une telle occasion ne se présenterait peut-être plus avant vingt ans. Lorsque les fameuses « transparences » furent publiées par son ministère, il constata qu’il allait devenir un très jeune président de cour d’appel, peut-être le plus jeune de tous ceux qui broutaient dans la steppe juridique du XXIème siècle. Le président de la Nation, qui résidait presque tout le temps en Corrèze, loin du Zambèze, dans le manoir prêté par son beau-père, ignorait tout de ces enquêtes et il signa le décret. Après sa nomination, le jeune juge dynamique partit à la cour d’appel, tout seul, sans les neuf cent onze tomes du dossier d’enquête, qui restèrent au tribunal, sous bonne garde.

LE JEUNE JUGE DYNAMIQUE EST REMPLACÉ

Lorsque le successeur du jeune juge dynamique fut désigné, on s’aperçut que le hasard avait bien fait les choses : le nouveau juge était valétudinaire. Une semaine sur deux, il était en congés de maladie. Une fois, c’était le cœur, une autre fois c’était l’estomac, une autre fois encore, c’était les poumons ou bien une allergie au pollen. Le nouveau juge alternait les séjours au tribunal et les séjours au sanatorium. Pourtant, il était à peine plus âgé que son prédécesseur.

Mais ses ennuis de santé ne le dissuadaient pas de prendre des initiatives. Lui aussi, il ordonnait des écoutes téléphoniques, des filatures et des perquisitions. Il avait deviné que l’enquête sur les bureaux d’études pouvait se terminer par une promotion dans une cour d’appel. Mais sa santé ne s’améliorait pas, ses séjours au sanatorium étaient de plus en plus fréquents.

Afin de démontrer son efficacité, il décida de faire transférer les neuf cent onze tomes du dossier au sanatorium. Le ministère lui avait accordé les crédits demandés pour faire construire une chambre forte à côté de sa propre chambre au sanatorium. Et aussi des crédits complémentaires pour l’escorte qui s’avérerait nécessaire lors du transfert des volumineux documents compromettants, dans un fourgon blindé escorté par des voitures de police et de gendarmerie.

Le sanatorium était situé à une cinquantaine de kilomètres du tribunal, au pied de la montagne, à proximité d’un petit village. Ce village était pourvu d’une église dont le clocher était surmonté d’une girouette. Il y avait aussi une école communale, une boulangerie bien sûr, comme dans tous les villages, et une teinturerie. Plutôt que de s’installer au chef-lieu de canton, où la clientèle était plus importante, le teinturier avait choisi le petit village, parce que le loyer de son magasin était moins élevé. Mais il n’avait pas fait le bon choix, sa clientèle s’amenuisait régulièrement et sa situation devenait difficile.

L’ATTAQUE DU FOURGON BLINDÉ

Un beau jour d’été, le convoi quitta le tribunal, à l’improviste. La date exacte avait été gardée secrète jusqu’au tout dernier moment. Le fourgon blindé était escorté par douze voitures, six voitures de police qui le précédaient et six voitures de gendarmerie qui le suivaient. Afin de passer inaperçu, le convoi partit tôt le matin, sans actionner les sirènes et les gyrophares, en roulant à une allure modérée. Le trajet se déroula sans la moindre anicroche.

Une heure plus tard, le convoi s’approcha du petit village, puis le traversa. Le convoi arriva à proximité de l’église et de l’école maternelle. Des enfants jouaient dans la cour de récréation. Derrière les hauts murs très épais du presbytère, se préparait la fête paroissiale ; sur une table en bois était posée une marmite où mijotait le repas de midi. On entendait les éclats de voix des bénévoles qui se réjouissaient, on sentait une bonne odeur de cuisine.

Soudain, surgirent de nulle part une dizaine de malfrats cagoulés, vêtus de noir, qui se mirent à tirer en visant les pneus des voitures de police. Les policiers et gendarmes ripostèrent avec leurs armes de service. Les malfrats expulsèrent les vigiles du fourgon blindé, puis trois des agresseurs s’installèrent dans le fourgon blindé, qui partit à toute allure vers une destination inconnue. Leurs complices continuaient à tirer sur l’escorte, afin qu’elle ne puisse se lancer à la poursuite du fourgon. Les enfants de l’école maternelle avaient interrompu leurs jeux, s’étaient agglutinés contre la clôture à claire-voie de leur école et regardaient bouche bée ce spectacle inattendu.

La fusillade dura encore une dizaine de minutes, jusqu’à ce que le fourgon ait une avance suffisante. Les bandits qui avaient protégé la fuite du fourgon blindé parvinrent à s’enfuir eux aussi. Ils disparurent aussi mystérieusement qu’ils étaient apparus. Il fut impossible de les rattraper, car les pneus de toutes les voitures de l’escorte avaient été crevés.

Heureusement, personne n’était blessé, ni les enfants de l’école maternelle, ni les membres de l’escorte, ni les bénévoles du presbytère, ni les assaillants.

LE FOURGON BLINDÉ DISPARAIT À JAMAIS

Les voitures de l’escorte étaient momentanément inutilisables, mais la plupart étaient réparables, comme l’enquête le démontra par la suite. L’enquête révéla aussi que l’on avait retrouvé au sol neuf cent onze douilles, ce qui témoignait de l’intensité de la fusillade. Il était donc vraiment étonnant que la fusillade n’ait fait aucun blessé.

On ne déplorait qu’une seule victime : la girouette de l’église, qui avait causé des dégâts importants en chutant dans la cour du presbytère. Une balle perdue avait sectionné la tige qui, au sommet du clocher, supportait le coq en fer forgé. Celui-ci était alors tombé dans la volumineuse marmite et son contenu avait éclaboussé tous les bénévoles réunis autour de la table pour préparer la fête paroissiale. La sauce poisseuse dégoulinait sur leurs chapeaux et leurs vêtements. Les paroissiens rentrèrent précipitamment chez eux, pour changer de vêtements. Dès le lendemain, le teinturier du village avait reçu la visite de dizaines de villageois, il avait du travail pour trois mois. L’attaque du fourgon blindé avait eu une conséquence imprévue mais bénéfique : elle avait sauvé de la faillite le teinturier du village. Et les anciens se rappelèrent l’orage de grêle de 1929, qui avait endommagé les serres de tous les cultivateurs de la paroisse et sauvé ainsi de la faillite le vitrier du chef-lieu de canton.

Par contre, on ne retrouva jamais le fourgon blindé, ni les neuf cent onze tomes du dossier d’enquête qu’il contenait, ni les malfrats ! Des avis de recherche furent lancés, des récompenses furent proposées, mais rien n’y fit. L’enquête du jeune juge dynamique, devenu président de cour d’appel, et de son successeur souffreteux était au point mort.

Hormis les dommages constatés sur les voitures de l’escorte, on n’avait relevé aucun impact de balle sur les immeubles avoisinants, ni sur l’école communale, ni sur l’église, ni sur le presbytère. Le nombre de douilles était exactement le même que le nombre de tomes qui avaient disparu. Les médias s’étonnèrent. Un hebdomadaire satirique, diffusé la plupart du temps les mercredis, titra en première page : « Et paf ! Un coup sur le pif pour le juge qui enquête sur le P.O.U.F. ! ».

Il ne restait du volumineux dossier d’enquête qu’un seul tome, que les vigiles avaient oublié au tribunal. Mais c’étaient des documents sans grand intérêt. Quelques factures du C.A.C.A. – B.O.U.D.I.N., qui concernaient de mystérieux travaux de toitures, des travaux perpétuels d’un montant de 691 483, 13 euros, pas un centime de moins, réalisés à la demande de l’agitateur professionnel Chelmi REGANIGA dans l’immeuble où habitait le chauffeur du procureur. Et aussi d’anciennes notes de frais du service d’urbanisme de la commune de Schwennligen-Vilginnen (dans le Wade-Burtemberg) qui avait, grâce à des fonds européens destinés aux opérations utopiques déclarées d’intérêt national, réalisé entre 1988 et 1992 une étude prospective de l’autre côté de la frontière, dans les nombreux restaurants gastronomiques d’une sous-préfecture de 109 500 habitants. Et même des copies de chèques destinés destinés à rémunérer les volontaires désignés par l’unité 855 de mademoiselle Marina, qui réalisait des sondages aléatoires et des études ésotériques sur le cortisol capillaire, le cor au pied capillaire, le cancer du foie capillaire et même l’endométriose capillaire.

Et encore un procès-verbal d’une perquisition qui avait eu lieu dans le nouvel immeuble où se trouvait le siège social du C.A.C.A. – B.O.U.D.I.N., à tous les étages, même dans le bureau du président directeur général. Donc, pas grand chose, par comparaison avec les documents explosifs qui avaient disparu à jamais.

Le procès-verbal fut annulé ensuite par la cour d’appel, par application des articles 57, 95 et 96 du code de procédure pénale, parce que les personnes qui auraient dû être présentes lors de la perquisition s’étaient absentées. Pour fêter joyeusement son anniversaire, Lippfi ADNAL avait invité tous ses collègues à faire une virée dans un boxon de la rue Saint-Denis, pas trop loin de la rue d’Amsterdam, où il avait alors un pied-à-terre.

Les poufistes et les poufettes se réjouirent, mais les médias s’étonnèrent à nouveau. Un hebdomadaire satirique, diffusé la plupart du temps les mercredis, titra en première page : « Et pof ! Les permanents du P.O.U.F. étaient allés au Pouff ! ».

Et un célèbre salarié de l’O.R.T.F. s’exclama : « Un bureau d’études d’un parti politique, voilà comment ça marche ! ».

Bibliographie sommaire (Section du contentieux et Section du Rapport et des Études) :

– C.E., n° 310.106, 3 octobre 2008 (président 3ème sous-section : Alain MENEMENIS) ;

– C.E., n° 323.084 à 323.091, 9 juin 2009 (président 1ère sous-section : J. ARRIGHI de CASANOVA) ;

– C.E., n° 346.615, 7 décembre 2011 (président 2e sous-section : Edmond HONORAT) ;

– C.E., n° 386.158, 30 septembre 2015 (président de sous-section : Jean COURTIAL) ;

– C.E., n° 288.407 , 7 août 2008 (Philippe LANDA – Lebon, Tables) ;

– C.E., n° 288.408 , 7 août 2008 (annulation titularisation Jean-Marie Deyherassary – Lebon, Tables) ;

– C.E., n° 356.204, 5 juillet 2013 (Jean-Marie Deyherassary) ;

– T.A. Montreuil, n° 1003402-4, 13 octobre 2011 (annulation titularisation Jean-Marie Deyherassary)

 

 

 

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