Pendant la guerre d’Algérie (1954-1962), des citoyens français, clairvoyants ou tout simplement généreux, prennent le risque de militer en faveur de l’indépendance de l’Algérie. Mais en 1956, le Parlement vote une loi qui accorde des pouvoirs spéciaux à l’armée, afin de mater ce qui est encore considéré comme une rébellion. Et l’on constate bientôt que de nombreuses personnes sont arrêtées et disparaissent : elles ne sont jamais retrouvées.
Quelques fonctionnaires altruistes, parfois de grade élevé, protestent, subissent des sanctions disciplinaires, et même démissionnent. En vain.
Comme quelques autres, Maurice AUDIN, un assistant de mathématiques à la faculté d’Alger, est favorable à l’indépendance de l’Algérie.
Le 11 juin 1957, il est arrêté à son domicile par des militaires français. Sa famille cherche aussitôt à savoir où il est détenu. Quelques jours plus tard, le commandement militaire informe son épouse qu’il se serait évadé, mais cette version est peu crédible : il ne donne pas signe de vie, et de nombreuses personnes arrêtées avant lui par les militaires ont déjà « disparu ».
La plainte pour enlèvement et séquestration déposée par sa famille ne permet pas de savoir dans quelles circonstances il est mort, mais révèle qu’il a été torturé. La procédure judiciaire s’achève par un non-lieu en 1962. Depuis, sa veuve a écrit à tous les présidents de la République, afin que soit révélée la vérité.
Les recherches effectuées par des historiens ont permis de savoir qu’il avait été assassiné dix jours après son arrestation. Le militaire responsable de la mort a continué sereinement sa carrière dans l’armée française ; il a été décoré de la Légion d’honneur. Selon le site web qui résume le livre écrit par un historien qui a pu consulter des documents officiels, « l’autorité judiciaire, du juge d’instruction au ministre, en passant par les procureurs généraux, réussit à éviter que ce crime soit jamais jugé. »
Il y a donc une affaire dans l’affaire : non seulement les autorités militaires ont protégé l’auteur de l’infraction, ainsi que le supposaient les nombreuses personnes qui soutenaient la famille du disparu, mais les juges « indépendants » et « équitables » de la République française ont fait de même, afin de ne pas gêner ceux qui étaient chargés par l’État de traquer les opposants.
Afin, peut-être, de préserver leur carrière.
Le 13 septembre 2018, la Présidence de la République a publié une déclaration qui expose les faits et exprime le souhait « que cette histoire soit connue, qu’elle soit regardée avec courage et lucidité ».
La disparition de ce père de famille « a été rendue possible par un système dont les gouvernements successifs ont permis le développement » pendant la guerre d’Algérie, dans le but de lutter plus efficacement contre le camp adverse. Ce système comportait l’arrestation de tout suspect, et la torture afin d’obtenir des aveux ainsi que les noms des complices.
La torture selon les méthodes des années 1960.
Depuis, les procédés se sont perfectionnés. Nous sommes au XXIème siècle. Les recherches effectuées depuis 1996 par plusieurs pays, dans le cadre du secret défense et grâce aux impôts payés par les contribuables, ont permis de mettre au point des procédés de torture électromagnétiques très efficaces. Les États se montrent peu loquaces au sujet de ces dérives délictueuses, qui ne sont pas divulguées. Le grand public est dans l’ignorance de ces agissements clandestins.
Les victimes sont confrontées à de nombreuses difficultés : impossibilité de prouver la réalité de l’infraction, malgré le grand nombre de personnes qui participent à son exécution ; indifférence des médecins qui, n’étant pas informés ou ne souhaitant pas l’être, ne peuvent aider leurs patients ; réticence des services de l’État, qui sont à l’origine du problème ; complicité passive des juges et magistrats censés sanctionner les infractions.
En 2018, l’autorité judiciaire, du juge d’instruction au ministre, en passant par les procureurs généraux, réussit à éviter que ces crimes d’un type nouveau soient jugés.
Ces errements sont possibles, au XXIème siècle, à cause de l’existence d’un « système dont les gouvernements successifs ont permis le développement » dans le but de lutter plus efficacement contre les extrémistes salafistes, auteurs de nombreux attentats, et de façon plus générale contre tout opposant, tout auteur d’un acte de désobéissance civile, même insignifiant.
Les victimes devront-elles attendre soixante ans pour que la vérité soit connue, comme dans l’affaire AUDIN ?
Les services de l’État, qui sont fautifs, ne peuvent se plaindre que les citoyens lésés invoquent la Constitution et s’efforcent de faire valoir leurs droits.
Sources (sites web) :
– [http://]www.elysee.fr (déclaration du 13/09/2018)
– [http://]1000autres.org (site web consacré aux « disparus » de la guerre d’Algérie)
– [http://]www.histoirecoloniale.net
– [http://]www.leseditionsdeminuit.fr (résumé du livre de Pierre VIDAL-NAQUET)
– [http://]www.humanite.fr (article du 12/09/2018)
– [https://]www.lacroix.com (article du 17/09/2018 à 19h10)
– [https://]www.algeriatoday.info (site web créé en septembre 2018)
– [https://]www.jeuneafrique.com (article du 14/09/2018 à 10h05)